La santé mentale des réfugiés  – Mission au Liban de Hervé Dubois

Dans les camps, la santé mentale est une bombe à retardement.

Hervé Dubois, directeur de l’Institut de Coopération Internationale, s’est rendu au Liban en tant que chargé de mission pour l’ONG Terra Psy.  Il nous raconte.

Selon l'OMS, en 2019, 970 millions de personnes souffraient d'un trouble psychique. Cela représente 13% de la population mondiale, soit près d’une personne sur huit.

Dans les zones de conflit, c'est une personne sur cinq qui est touchée.


Le choc libanais

Dimanche 2 avril 2023 : Rym Snene, la psychologue et moi arrivons à l’aéroport de Beyrouth en milieu de journée. Ma collègue locale me demande si je veux faire du « change ». Nous allons donc dans un bureau de change, et par prudence je lui donne modestement 150 dollars. Elle revient dix minutes plus tard avec les mains chargées de liasses de billets en livres libanaises.

Lorsque j’étais venu en 2019, 1 dollar correspondait à 1500 livres ; 4 ans plus tard le même dollar vaut 100 000 livres.  La monnaie libanaise a perdu 98% de sa valeur ces 3 dernières années. Une classe dirigeante défaillante, une crise économique foudroyante accélérée par la pandémie et l’explosion au port de Beyrouth qui a détruit une partie de la ville sont les facteurs principaux de cette chute vertigineuse.  Une grande partie de la population s’est appauvrie en quelques mois.

Le peuple Libanais traditionnellement si solidaire envers les frères meurtris des pays voisins n’a plus les moyens d’accueillir la détresse régionale. Autrefois considéré comme la Suisse du Moyen-Orient, le Liban est devenu est pays au bord de l’implosion. La moitié de la population ne sait pas comment finir les fins de mois et ceux qui ont de l’épargne ne peuvent plus le récupérer.

Dans ces conditions, le million et demi de réfugiés, soit presque le quart de la population au Liban, est encore plus impacté par cette situation.

La mission 

La raison de notre présence au Liban est une mission exploratoire. Avec les Psychologues Sans Frontières de l’ONG Terra Psy, nous allons au cœur des camps de réfugiés syriens dans le nord-est du Liban à la frontière syrienne. Durant quelques jours, avec notre partenaire local, l’ONG URDA, nous effectuons une mission exploratoire pour mesurer l’état psychologique des personnes les plus vulnérables dans les camps de la région d’Arsal. Pour ce type de mission, la région d’Arsal nous semblait prioritaire. En effet, les réfugiés syriens se répartissent principalement sur la bande Est du Liban, au plus près de la frontière avec leur pays. Arsal compte près de 200 000 réfugiés Syriens officiels ou informels.

 Le constat est accablant : Les réfugiés vivent principalement de l’agriculture et des petits boulots. Leur déplacement est compliqué car, pour la plupart, ils ne sont que tolérés sur le territoire. Les autorités locales ne souhaitent pas qu’ils se déplacent trop vers l’intérieur du pays déjà saturés ou vers la capitale. Retraverser la frontière vers la Syrie n’est pas une option non plus. Ils sont bien souvent trop pauvres pour pouvoir payer les différents frais pour le faire, mais surtout considérés comme des traîtres ou des opposants au pouvoir ayant pris la fuite, leur retour en Syrie n’est pas envisageable.

Pour ne rien arranger, en cette période de pénurie au Liban, ils sont parfois portés pour responsables de la crise politique et économique. Ils sont considérés comme des « voleurs de travail ». Dans les faits, les Syriens, et notamment les femmes et les enfants, sont prêts à travailler (pour ne pas dire exploités) dans des conditions difficiles et pour de faibles revenus afin de subvenir à leurs besoins. Les employeurs sont davantage intéressés de sous-payer plusieurs réfugiés plutôt que d’embaucher des libanais au salaire officiel de base, surtout en pleine crise économique.

Au Liban et à Arsal en particulier, les réfugiés se retrouvent dans une impasse. Le manque de moyens de subsistance et leurs conditions de vie extrêmes fragilisent leur état physique et mental. Le gouvernement libanais n’ayant plus les moyens de prendre en charge ces centaines de milliers de personnes, accueillies 12 ans auparavant, prend des mesures « anti réfugiés » afin de les encourager à partir. Par exemple, le gouvernement n’accepte plus les habitats en semi-dur dans les camps, seuls les tentes et les shelters en plastique sont autorisés. Évidement en plein hivers dans cette région, la température descend souvent à -10° et il y a de la neige durant 4 mois sans compter les inondations. Pas d’électricité dans les camps, trop chère et les systèmes de chauffage très précaires.

Les conditions de vie sont extrêmes.

Nous ne parlons plus aujourd’hui d’intégration ! le Liban a trop de problèmes.


Les femmes et les enfants en première ligne des souffrances

Ce statut de personnes « temporaires » bloque les réfugiés dans une phase d’attente interminable et interdit tout projet d’avenir. Ce processus accélère les détresses psychologiques des familles réfugiées car cette « attente indéfinie » crée une frustration et une anxiété. Celles-ci s’accumulent aux traumatismes de la guerre et au sentiment d’insécurité dans les camps. Cette frustration va se traduire par des pensées et des actes extrêmes, et une communication verbale agressive.

Dans ces conditions, la première réaction naturelle est la violence.

Les hommes sont les premiers à exprimer leur frustration en étant violents notamment envers leur femme et leurs enfants, qui peuvent être régulièrement battus. Ils expriment des propos confus, colériques, qui peuvent s’apparenter pour certains à une forme de radicalisation. Ils subissent la stigmatisation de leur communauté et de leur confession.

Les femmes sont victimes en grande majorité d’agressions sexuelles et de viols. La plupart des jeunes filles subissent très rapidement un mariage forcé. De nombreuses femmes sont régulièrement enceintes. Subissant déjà les conditions de vie et les stigmates de leur communauté, les femmes se retrouvent aussi à subir des traumatismes liés à leur genre.

Les enfants, souvent non désirés, grandissent dans des foyers où ils témoignent quotidiennement de la violence. Ils sont régulièrement agressés et exploités. La plupart n’ont pas de statut officiel car ils ne sont pas recensés sur les registres de naissance, de même l’accès à l’école publique libanaise est de plus en plus difficile (quand celle-ci fonctionne). Aussi, les enfants commencent à travailler très jeunes pour aider les familles dans leur survie dans les camps. Le manque d’éducation fragilise davantage leur santé mentale, leur capacité à raisonner et leur intégration sociale.

Au-delà du manque de ressources matérielles, les réfugiés se retrouvent sans soutien psychologique.  

C’est dans cette perspective que les ONG Terra Psy et URDA, cherchent à instaurer un suivi psychologique afin de soigner, de prévenir de l’anxiété et des épisodes dépressifs chez les réfugiés. La reconnaissance des réfugiés passe aussi, et peut-être principalement, par le droit de s’exprimer et d’être écouté.

 Dans les camps, la santé mentale est une bombe à retardement.

La pauvreté et le désespoir est le terreau du repli sectaire et des comportements extrémistes. Depuis 12 ans, la crise syrienne a entraîné l’exil de plus de 5 millions de réfugiés syriens vers les pays voisins : Turquie, Liban, Jordanie et Irak. Cet afflux massif a des répercussions sociales, économiques et politiques majeures, qui attisent les tensions et les vulnérabilités dans une région déjà bien sensibles aux dérives du désespoir. La santé mentale et le bien-être psychosocial des populations constituent certes un enjeu majeur de santé publique mais aussi et surtout, un enjeu de sécurité pour le Moyen-Orient et l’Europe.

Je pense surtout aux enfants. Ceux-ci ont connu les bombes et la guerre dans leur plus jeune âge, ou bien nés dans les camps. Ils ont subi que discrimination, privation et violence sans espoir d’un avenir meilleur.  Certains de ces enfants seront des adultes dans 5 ans et à ce moment-là, la plupart aura un projet unique : fuir à l’Ouest, avec comme bagages, fragilité psychologique, religion refuge et blessures traumatiques.

Cette mission m’a fait comprendre que, même si ce n’est pas une pandémie, nous devons traiter cette maladie mondiale de toute urgence, dans ses causes et ses effets !

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